Les papiers dominotés

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Les papiers dominotés
 

  • Domino, dominoté, dominotier

Un papier dominoté est une feuille de papier décorée dont le motif est imprimé à partir d'une planche de bois gravée et les couleurs sont appliquées au pinceau ou au pochoir. En France, ces feuilles de papier ornées de motifs géométriques ou floraux ont connu leur apogée au XVIIIe siècle. Elles
étaient fabriquées par les dominotiers, artisans qui exerçaient également les métiers de cartier (fabricant de cartes à jouer) et d'imagier (fabricant d'images). À cette même époque, d'autres pays se distinguent par la production de papiers dominotés, comme l'Allemagne et l'Italie.

N'ayant pas le droit d'utiliser des caractères d'imprimerie, les dominotiers étaient déjà actifs au XVIe siècle dans la production d'images et de papiers en couleur. Ce métier, qui anticipe celui de fabricant de papier peint, est bien documenté grâce aux dessins de Jean-Michel Papillon (vers 1750), refusés
pour l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Les dominotiers font preuve d'une grande économie de moyens et parmi leurs outils, on retrouve : des gouges pour graver du bois fruitier, des pinceaux pour encrer les planches, des frottons et des rouleaux pour imprimer les feuilles. Illustrant une série de
métiers, Martin Engelbrecht édite vers 1735 deux étonnantes figures de Dominotier et Dominotière, habillées de leurs papiers décorés et munies de leur outillage.

 

 

Martin Engelbrecht
Une dominotière, vers 1735
Bibliothèque des Arts décoratifs, Paris

Reconstitution de
la dominotière
par l'équipe du Musée Médard

 

  • Dominotés : créateurs et centres de production

Le dominotier grave ses planches lui-même ou fait appel à un artisan graveur. Il est d’usage qu’un bois gravé porte en lisière le nom du dominotier, la ville où il exerce et un numéro de planche. Les bois étaient transmis de génération en génération ou changeaient de propriétaire en cas de décès ou de faillite. La signature du prédécesseur pouvait alors être effacée d'un simple coup d'échoppe, d'où l'appellation de « signature échoppée ».

 

FRANCE
Plusieurs villes se démarquent pour l'abondance et la variété de leurs dominotés, même si les exemplaires conservés représentent une infime partie de la production de l'époque. Orléans est à ce propos un des centres d'imagerie populaire et de dominoterie parmi les plus anciens et importants. Jouissant de la collaboration avec les graveurs de motifs pour le textile, la corporation locale des imagiers-dominotiers a organisé un puissant réseau de distributeurs et colporteurs. La collection de Valérie Hubert nous fait découvrir plusieurs fabricants d'Orléans : Sevestre-Leblond, Benoist Huquier, Letourmy, Michelin.
À signaler également, dans l'ouest et dans le nord, les productions de Rouen, Le Mans et Chartres (les Allabre). À Besançon, une signature donne toute la dimension familiale de ce métier : « veuve Tissot et de Sainte Agathe ». Quant à Paris, la mention « chez les associés » (et différentes variantes)
semblerait indiquer une entreprise qui réunit les fabricants de province.
Marquée par les multiples combinaisons géométriques, florales et par le goût des indiennes, la production méridionale nous surprend pour une belle vivacité de couleurs. En Avignon, oeuvre Leblond (de la même famille orléanaise), à Nîmes Larguier.
Aujourd'hui, le papier dominoté et les motifs du XVIIIe siècle sont remis à l'honneur par des artistes décorateurs : la société A Paris chez Antoinette Poisson et l'atelier d'Alexandre Poulaillon de Mulhouse.

 

Avignon (collection Valérie Hubert)

 

Orléans (collection Valérie Hubert)

 

Paris (collection Valérie Hubert)

 

Besançon (collection du Mucem)

 

   
   

ITALIE
L'épopée du papier dominoté italien se situe entre 1750 et 1850, avec une production foisonnante et très colorée qui rappelle en plusieurs points celle française : on remarque l'activité du Français Louis Antoine Laferté à Parme et le riche catalogue (1200 papiers) de Carlo Vittorio Bertinazzi à Bologne, un artisan formé à Paris qui s'oriente vers la mode des papiers peints.
La dynastie des Remondini domine la scène des papiers décorés au XVIIIe siècle : il s'agit d'une énorme entreprise basée à Bassano (Vénétie), active dans l'imprimerie et dans l'imagerie populaire, qui emploie 1000 ouvriers en 1765. À part tout le répertoire de motifs géométriques et végétaux, la maison Remondini introduit ses marques de fabrique : des semis de tout petits motifs, des compositions élaborées imprimées en plusieurs planches (une par couleur), des papiers dorés. Ces papiers trouvent place dans les livres, ainsi que dans la décoration d'objets et cabinets.

 

   

Italie (collection Valérie Hubert)

 

ALLEMAGNE
Les papiers décorés (Buntpapiere) de ce pays brillent tout particulièrement car il s'agit de dorés gaufrés qui triomphent aux XVIIIe siècle à travers les productions de fabricants installés à Augbourg et Nuremberg. À la technique de gravure sur planche de métal (cuivre ou laiton), on associe une feuille aussi
métallique (un alliage de cuivre, zinc et étain ou plomb) apposée sur le papier ; le passage sous presse permet d'obtenir un papier doré gaufré avec des effets de relief.
En accord avec le goût baroque, ces papiers décorent les objets mais deviennent surtout un habillage de prestige pour les livres. Plus ou moins élaborés et parfois colorés, ils sont importés et copiés dans toute l'Europe jusqu'au début du XIXe siècle.

 

Allemagne (collection Valérie Hubert)

 

Allemagne (collection du Mucem)

 

 

  • Dominoté passion : la collection de Valérie Hubert

 

« J'ai acheté mon premier livre recouvert d'un papier dominoté il y a une vingtaine d'années. À cette époque, je ne pensais pas commencer une collection. J'avais souvent l'occasion de fréquenter les salons et les marchés du livre ancien et achetais des ouvrages épisodiquement quand ils étaient à la portée de ma bourse. Au fil du temps, j'ai fini par disposer d'un bel ensemble de documents. Quand Marc Kopylov, éditeur à la recherche de belles pièces pour illustrer ses ouvrages sur les papiers dominotés, m'a contactée pour voir mes trésors j'ai pris conscience d'être devenue une vraie collectionneuse. »
(Valérie Hubert, Les papiers dominotés : une collection particulière, 2016).

 

 

Couleurs
Préparées à l’atelier par le dominotier, les couleurs sont composées de pigments naturels liés avec de la colle de peau ou d’amidon, de la gomme arabique ou de la poudre d’alun. La gamme chromatique est limitée : noir (noir de fumée), bleu (indigo), jaune (graines d’Avignon), rouge (vermillon ou bois du Brésil). Ces couleurs se déclinent en différentes nuances selon le mélange des ingrédients.

 

 

 

Papier peint
On considère le papier dominoté comme l’ancêtre du papier peint. Les papiers dominotés ornés de grands motifs sont conçus « au raccord » : assemblés les uns à côté des autres, ils forment un dessin continu et répétitif. On les appelle « papiers de tenture » ou « papiers de tapisserie ». Au milieu du XVIIIe siècle, les premiers papiers peints arrivent d’Angleterre où prend forme une fabrication de wallpaper en rouleaux, constitués de feuilles collées bout à bout. En 1763, Jean-Baptiste Réveillon ouvre une manufacture de papiers peints à Paris puis d’autres suivent son exemple. Les modestes ateliers des dominotiers ne sont plus adaptés à cette concurrence et leur production tombe vite en désuétude.

 

 

 

Usages du dominoté
« À l’abri des regards, les papiers dominotés se cachent parfois dans les pages de garde des livres, à l’intérieur d’un portefeuille, au dos d’un reliquaire ou d’un tableau, dans les coffres et les armoires... » (V. Hubert).

Si leur utilisation va devenir fréquente dans la couverture de documents, les papiers dominotés se prêtent à l'habillage d'objets et d'espaces, séduisant les classe populaires comme celles plus privilégiées. Dues au temps et à la fragilité du papier, les traces d'usage (écritures,
salissures...) de ces pièces sont à nos jours les témoins émouvants d'une époque.

 

 

Des feuilles, des motifs
Imprimées en milliers d’exemplaires par l’artisan, les feuilles de papiers dominotés étaient vendues à l’unité, à bas prix, ou par rames (paquets de cinq-cent feuilles). Les feuilles entières, aujourd'hui très rares, étaient au format dit « couronne » : environ 45 x 36 cm.
Quant aux motifs, les effets de mode et les inspirations sont multiples. Dans les nombreuses variations de motifs « au naturel » (dessins floraux et végétaux), on remarque l'influence des indiennes, tissus de coton imprimés et colorés diffusés avec grand succès en Europe.
D'ailleurs, différents graveurs travaillent à la fois pour les manufactures de textile et pour les dominotiers. Les motifs géométriques sont aussi très prisés : de simples carreaux ou damiers, étoiles ou fleurs stylisés, de rayures plus ou moins élaborées... Toujours en lien avec les tissus, se développe le surprenant zigzag ou « point de Hongrie ».